Et la nuit chante débute comme n’importe quelle pièce de Jon Fosse. Un couple patauge dans le morne quotidien, angoisse à l’idée des prochaines visites parentales, se noie dans les querelles superficielles, sombre dans les petites habitudes… Une situation banale, et pourtant, comme toujours chez l’auteur norvégien, on est bientôt soumis à de fortes pressions, dans l’attente de ce que demain, voire la prochaine heure, apportera.
Jon Fosse est né à Haugesund en Norvège en 1959. D’abord auteur de romans, d’essais, de poèmes et de livres pour enfants, il s’est aujourd’hui presque entièrement consacré au théâtre. Avec une écriture simple, minimaliste et répétitive, Fosse, dramaturge à l’univers sombre, sait capter les pensées intimes, les contradictions et les soubresauts des sentiments qui nous assaillent. Les personnages de Fosse ont peu de choses à dire car, au-delà de ces paroles économes, il n’y aurait que des cris sur l’insupportable condition de vivre. Jon Fosse, c’est un théâtre d’arrière-plans: on ne peut pas écrire plus simplement mais les mots font sourdre tout ce que le théâtre peut dire de manière muette, par la mise en scène et l’interprétation.
A première vue, il y a quelque chose d’autistique chez ce descendant d’Ibsen, l’impression est cependant trompeuse. Ses personnages parviennent à communiquer, mais sur leur propre échec.
Jon Fosse
Jon Fosse est né en 1959 à Haugesund, près de Bergen, sur la côte ouest de la Norvège. Il débute comme romancier et écrit une trentaine de romans, de récits, d’essais, de recueils de poèmes et de livres pour enfants. Puis, par pure nécessité économique, il écrit sa première pièce en 1994 Et jamais nous ne serons séparés à l’instigation du jeune metteur en scène Kai Johnsen. Encouragé par son succès, suit en 1995 Le Nom. En 1996, il écrit Quelqu’un va venir et le roman Mélancholia 1, deux œuvres que Claude Régy mettra en scène et qui le révèleront par là même en France. Il obtient par ailleurs en 1996 le prix Ibsen. Depuis, avec une fascination pour l’écriture théâtrale, il a écrit plus d’une dizaine de pièces dont la plupart ont été traduites et ce par Terje Sinding, connu pour ses traductions d’Ibsen. Autre Claude Régy, Jacques Lassale, Christian Colin, Marie-louise Bischofberger, Denis Marleau et bien d’autres ont concouru à faire connaître L’ Enfant, Le Fils, Et la nuit chante, Un jour en été, Dors mon petit enfant, Visites, Variations sur la mort… Il reçoit également le prix Nestroy et le prix du théâtre du Conseil Nordique en 2000.
Son œuvre est parcourue par une réflexion sur l’écriture et le signifiant : le langage neutre, d’une banalité revendiquée n’est pas en premier lieu concerné par la signification. Mais, c’est par la forme même que les personnages communiquent peu à peu une douleur au-delà de ces paroles économes. Et l’entente qui se fait alors au public et aux acteurs est d’ordre émotionnelle, une entente qui ne s’explique pas intellectuellement. Dans cette maladroite humanité apparaît tant le tragique que le comique. Il considère d’ailleurs ses pièces comme « des tragi-comédies typiques » et pense que « si une pièce qu’ [il a écrit] est réussie, les gens qui la regardent, ou au moins quelques uns, devraient à la fois rire et pleurer ».
Jon Fosse ne « hait » plus le théâtre et le considère désormais comme la plus humaine et la plus intense de toutes les formes d’art.
Partir ou ne pas partir
Le Norvégien Jon Fosse nous plonge dans un univers sombre, presque sans rayon de lunnière, où le non-dit en dit long. Pour le metteur en scène le défi consiste à faire parler le silence.
Et la nuit chante (1997) introduit dans le monde typique de Fosse: un couple est confronté à la banalité du quotidien et se perd dans les petites querelles; la jeune femme reproche à son mari de lui faire vivre une vie cloîtrée dans l’appartement, loin des autres. Lui, étendu sur le canapé, passe son temps à lire et à écrire; elle, plus active, travaille mais est pour le moment en congé pour s’occuper du bébé qui dort souvent, pleure parfois.
Le célèbre auteur norvégien Jon Fosse, dont l’œuvre dramatique a été récompensée de plusieurs prix, débuta comme romancier et poète, avant de se passionner pour le théâtre. Une écriture dra matique sobre, souvent répétitive, lui permet de saisir les sentiments, les contradictions, les attentes et les tourments, de la condition d’homme où se glisse parfois un certain comique. Les personnages font naître une souffrance au-delà des mots.
Dans la conception de la scénographie de Jasna Bosnjak, la pièce se déroule au Théâtre national dans un salon clair, dominé par le blanc, il s’ouvre moyennant une large baie vitrée sur une parcelle de rue bordée d’arbres nus, sans feuilles. Un paysage qui change par l’effet de la lumière, sous la baguette de Zeljko Sestak: du jour avec des nuances assez chaudes vers le sombre de la nuit, l’heure étant indiquée par une horloge, seul décor mural.
Le couple vit reclus, sans contact avec l’extérieur: les visites sont rares, les parents (Josiane Peiffer et Norbert Rutili) viennent voir le bébé et repartent rapidement. ILs ne sont pas à leur place, les quelques amis ne franchissent guère le pas de la porte. La jeune femme – Lili Schackert dans une belle prestation, avec parfois un ton trop provocant – lance un flot de paroles à la face du jeune homme qu’elle essaie de déloger de sa léthargie: Marc Baum incarne avec conviction celui qui n’arrive plus à s’exprimer. La femme s’en va, puis revient pour annoncer son départ avec son amant (Serge Wolf).
Fortes tensions
Le face-à-face des trois est une scène essentielle où à travers la mise en scène épurée, qui accentue les moments-clés de Pol Cruchten et le jeu évocateur se dégage une tension à rebondissements: la parole est économe, les silences sont gonflés de l’inexprimé ou de l’inexprimable, on s’attend à un acte dramatique – et libérateur – puis les mots reprennent regroupés dans des phrases isolées qui dénotent l’impuissance du langage comme signifiant; cette séquence illustre les paroles de Jon Fosse: «Le langage signifie tour à tour une chose et son contraire et autre chose encore».
La femme ne réussit pas à rompre avec le passé, les regrets la tiraillent, le couple se sentait quand-même bien ensemble. Le connu rassure aussi face à l’inconnu, au futur qui reste ouvert: «Nous ne nous quitterons jamais» est une promesse, ce sont des mots, ce qui va arriver est à la fois prometteur et angoissant, L’indécision, le flottement, dure jusqu’au coup fatal, un cri, qui met fin brutalement à l’hésitation. Les paroles ne sont pas dans l’univers de Fosse le reflet des idées et des sentiments, elles démentent l’intention et semblent mener une vie à part: les personnages gardent leur secret, nous guettons leurs gestes, leurs mimiques pour en savoir plus et en même temps une distance se crée par rapport à l’histoire, le non-dit interpelle notre propre imaginaire.
Josée Zeimes : Le Jeudi
Mise en scène: Pol Cruchten
Décors et costumes: Jasna Bosnjak
Lumières: Zeljko Sestak
Dramaturgie: Andreas Wagner
Conseil artistique: Anne Simon
Assistante à la mise en scène: Linda Bonvini
Maquillage: Claudine Moureaud
Habilleuse: Alice Theissen
Direction technique: Zeljko Sestak
Technique: Luc Meyer, Mike Noel
Avec: Lili Schackert (La jeune femme), Marc Baum (Le jeune Homme), Josiane Peiffer (La mère), Norbert Rutili (Le père), Serge Wolf (Baste),
Représentations – Saison 2009/2010 – Théâtre National du Luxembourg
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