Aston invite Davies chez lui (une pièce unique encombrée d’un bric-à-brac hétéroclite) après l’avoir tiré d’une dispute dans un café. Davies finit par accepter l’offre d’Aston de l’héberger temporairement, n’ayant ni argent, ni domicile, ni papiers. Il se révèle vite être un vieil homme opportuniste, parasitique et peu amène, se plaignant de tout et volontiers raciste. Mick, propriétaire de la maison dans laquelle vit son frère Aston, semble irrité par l’intrusion de Davies et le rudoie. Aston propose à Davies d’être gardien de l’immeuble mais sa patience finit par s’user devant l’égoïsme du vieil homme. Davies tente alors d’obtenir l’appui de Mick contre son frère, mais la manœuvre échoue. À la fin de la pièce Davies en appelle à nouveau à Aston mais il est clair que ce sera en vain.
L’homme et la solitude
La relation maître/esclave est illustrée dans «Der Hausmeister» par un serviteur qui s’impose en manipulant son entourage. Lecture intéressante de Pol Cruchten, metteur en scène.
Au Théâtre national du Luxembourg (TNL) la scénographie de Jasna Bosnjak – sur une plate-forme en carrelage transparent s’entassent sur deux niveaux des objets hétéroclites – évoque une chambre qui ressemble à un chantier, le provisoire attend de trouver sa place. Les personnages qui entrent en scène, deux frères, les maîtres de maison, s’intègrent par leurs habits – des combinaisons de travail – dans cet espace, alors qu’un vagabond, en costume de ville et sandales en plastique, semble s’être trompé de lieu.
Aston, un jeune homme aucomportement étrange, a ramené chez lui, Davies, un clochard rencontré dans un café. Peu à peu une relation se crée entre ces deux marginaux; un plan prend forme, Davies pourrait aider Aston à mettre en état la maison qu’il habite et qui appartient à son frère Mick. Puis ce dernier, un entrepreneur réaliste, fait irruption; Davies sait aussi lui parler de sorte que Mick, tout comme son frère auparavant, l’engage comme gardien de la maison.
Bientôt le domestique se rend indispensable, intrigue en dressant un frère contre l’autre; comme souvent chez Pinter, «obsédé par des situations de conflits où la seule issue est l’assujettissement sinon l’anéantissement de l’Autre» (Ann Lecercle), l’intrus révèle les tensions existantes entre les frères. De là s’engendre un jeu où chacun veut devenir maître de la situation: l’un guette l’autre, le menace, puis ils se réconcilient et se distan cent de nouveau. Finalement le gardien est expulsé. Il se retrouve seul, dans la rue. La fin rejoint le début. Les deux frères reprennent aussi, chacun son chemin. L’homme, malgré diverses tentatives de sortir de son isolement, est condamné à la solitude. Cet aspect ressort bien de la mise en scène de Pol Cruchten, qui insiste sur le désir de nouer des liens entre les protagonistes, même si cela s’avère dérisoire.
Dire/être
Dans sa guidance d’acteurs, le metteur en scène incite Marc Baum – qui interprète le rôle d’Aston avec beaucoup de finesse – à montrer, par de petits gestes ou un regard perdu mais confiant, son besoin de l’autre. En multipliant les facettes de son jeu, Georg Marin donne une présence remarquable au personnage de Davies qui dissimule sa solitude sous sa faculté d’adaptation intarissable. Mick – Nickel Bôsenberg, vif, déterminé et drôle – se cache sous l’habit de sa fonction d’entrepreneur dont on ne sait pas beaucoup et sous le manteau de son discours tranchant.
Le jeune Pinter est reconnu sur sa scène internationale en 1960 avec The caretaker (Der Hausmeister, Le gardien) qui illustre des thèmes récurrents de l’auteur, comme le duo pintérien du maître et de l’esclave, une variante de l’autre «je», ami et ennemi à la fois, l’irruption de l’intrus qui dérange voire bouleverse, la singulière attente des personnages qui rappelle celle de Beckett, l’inquiétante étrangeté qui se dégage peu à peu: on s’attend à un événement, à une rupture et rien ne se passe.
Les personnages se livrent des batailles, surtout par le biais du langage. Le langage de Pinter est tantôt abondant, volubile, pour se dire et se raconter, tantôt laconique, fragmentaire, pour révéler le vide, avec des silences – bien mis en évidence – qui fragmentent le discours. Les mots ne disent pas le vécu de l’homme mais voilent ses interrogations, ses angoisses, ses désirs.
Der Hausmeister dans la vision du TNL est un spectacle bien conçu, oscillant entre le tragique et le comique, et porté par un très bon trio de comédiens.
Josée Zeimes : Le Jeudi 30.06.2011
Mise en scène: Pol Cruchten
Regieassistenz: Jacques Schiltz
Décors et costumes: Jasna Bosnjak
Lumières: Zeljko Sestak
Assistante à la mise en scène: Jacques Schiltz
Avec: Marc Baum, Nickel Bösenberg, Georg Marin
Représentations – Saison 2010/2011 – Théâtre National du Luxembourg
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